- Rédaction
- 24 janv.
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Nora Hamzawi : "sans le rire, on se fait chier"
Difficile de ne pas aimer Nora. Elle est cette bonne copine qu’on rêve toutes et tous d’avoir, on aime rire de ses problèmes de couple, de ses questionnements intimes, de son côté décalé. Pour Multi, elle parle de sa vision de l’humour, de la société, de son rapport à la notoriété. Un entretien à son image : drôle, sans filtre, doux.

Vous jouez actuellement en province. Vous croyez en cette division public parisien / public de province ?
On me disait beaucoup à mes débuts : "il faut voir si ce que tu fais n’est pas trop parisien". Mais ce que je raconte est tellement lié à l’intime que ça parle à tout le monde. Les êtres humains sont les mêmes d’une région à l’autre. Je n’ai pas comme certains des références qui peuvent être très parisiennes.
On parle beaucoup de l’importance du rodage chez les humoristes, cette phase où vous jouez une première version du spectacle. Il y a une vraie différence entre le rodage et la première ?
Oui, ça évolue pas mal. Pas tellement dans le texte mais dans la narration, le ton, le rythme. Le confronter à un public, passer d’une version écrite au fait de l’exprimer à voix haute, ça oblige à être plus direct, plus clair.
Parler de l’intime, c’est toujours une évidence pour vous ?
Le stand up par essence est une narration à la première personne où on parle de soi. Les observations du monde, de la société, sont d’autant plus valables si on part de notre point de vue. Ma vie n’est pas plus passionnante que celle d’un autre donc le point de départ, c’est moi, mais c’est surtout une excuse pour parler du monde.
Malgré tout, vous racontez aussi bien vos querelles de couple que votre sexualité. Vous vous autorisez tout ou vous vous censurez ?
Pour moi, il y a une grosse différence entre l’intime et le privé. Je parle de l’intime mais pas du privé. Je protège mon amoureux, mon fils, personne ne sait qui ils sont - et je ne suis même pas certaine que ça intéresse les gens de le savoir. Tant que c’est un exercice de scène, je m’autorise plus de choses parce que j’ai un double sur scène. Je n’arrive pas à être la Nora de la scène hors de scène. J’ai déjà essayé de me filmer pour faire des sketchs sur Instagram, j’en suis incapable ! D’un coup, j’ai l’impression qu’on entre dans mon intimité.
Je protège mon amoureux, mon fils, personne ne sait qui ils sont - et je ne suis même pas certaine que ça intéresse les gens de le savoir.
Vous avez fait de la radio, de la télévision. Là, vous arrivez à avoir le même ton que sur scène ?
C’est encore différent. La télé doit avoir un rythme plus rapide, il faut être efficace tout de suite. Ça m’a beaucoup angoissée d’ailleurs. La radio, c’est plus tranquille, tu peux laisser du temps long, laisser vivre les choses. Mais dans les deux cas, c’est différent du spectacle parce que tu es dans une bulle, et quelque part, tu as le sentiment que seules les personnes présentes sur le plateau ou en studio t’écoutent. Je préfère ne pas penser à tous les auditeurs / téléspectateurs sinon ça me tétanise.
Avoir été chroniqueuse chez "Quotidien", ça vous a propulsée ?
Oui mais je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Quand je suis arrivée, j’en étais à mon deuxième spectacle, j’avais déjà fait France Inter, ça roulait assez bien. Mais "Quotidien" m’a offert un public plus large. La visibilité a été énorme, ça a été une chance énorme et parfois un malentendu énorme parce que certains venaient avec leurs enfants à mes spectacles, ils pensaient que j’allais répondre à leurs questions comme dans l’émission. Mais enfin, je joue à 21h au théâtre en semaine, bien sûr que ce n’est pas pour enfants ! J’ai dû faire ajouter "interdit aux moins de 15 ans" sur l’affiche.
Et la notoriété soudaine, vous l’avez vécue comment ?
Moyennement bien, au départ. Je n’avais pas mesuré à quel point cette émission était vue. Avant, seuls ceux qui avaient vu mon spectacle me reconnaissaient. Là, ça a changé. J’ai mis du temps à m’y faire et j’étais toujours surprise parce que les gens avaient cette réaction de : "on se connait non?" Et moi, comme une gourde, je cherchais bêtement avec eux d’où je pouvais les connaitre. Alors que pas du tout. Quand j’ai été jeune maman, ça a été compliqué dès que j’étais avec mon fils. Et à un moment donné, ça s’est adouci. En fait, je me suis fixé un cadre : si on me demande une photo et que je suis au travail, je dis oui. Si je vais chez le pédiatre, c’est non. Ces règles m’ont permis de mieux gérer sans culpabiliser. Les gens sont hyper gentils mais comme je suis secrète, quand on me parle avec mon fils, ça me gêne toujours un peu.
J’ai mis du temps à me faire à la notoriété et j’étais toujours surprise parce que les gens avaient cette réaction de : "on se connait non?"
Les commentaires sur Twitter, ça vous a miné ou vous êtes hermétique ?
Quand je passais à la télé, j’y apportais beaucoup trop d’importance ! Je me rendais un peu malade avec ça. Et Yann (Barthès, ndlr) m’avait dit : "c’est ridicule, c’est comme si tu allais dans un bar et tu demandais à des gens bourrés: 'alors qu’est-ce que vous pensez de moi ?' Tu ne peux pas prêter attention à ça". Pour des gens de la télé, c’est logique, pour moi, ça l’était moins parce que je me suis toujours fié au public : sur scène, les gens rient ou pas. Et j’ai fini par comprendre que le public, ce n’est pas 12 personnes sur internet. Mais c’est la nature humaine : tu fixes le négatif. Aujourd’hui, pour moi, c’est ce qui se passe dans la salle qui compte.
Dans le spectacle, vous semblez très à l’aise avec votre quarantaine.
Ah mais je le suis ! Je me sens hyper bien. J’ai eu du mal à me voir moi femme et pas fille. Je me projetais, j’imaginais l’adulte que j’allais être, les fringues que j’allais porter, le physique que j’aurais… Et un jour, tu finis par arrêter de projeter et par l’incarner. Je n’aime pas tout de moi et ça me va, mais j’ai trouvé ma place. Je me sens moins vulnérable, moins éponge. Mais peut-être que ça va aussi avec le fait de vieillir. Il y a tellement de choses graves que j’ai l’impression que je peux moins me laisser abimer par des petites choses. Même dans mon rapport au public, quand j’ai commencé j’avais peur de déranger, de ne pas être aimée, là je sais qu’on est chez moi donc si quelqu’un s’endort, je m’en amuse. Je me fous du désir des autres.
Il vient d’où ce besoin de faire rire ?
Quand ça ne va pas, j’adore l’idée que ça puisse être transformé en rigolade. J’aime l’idée que ce n’est pas grave. Et ça vient de moi, de mon histoire, de qui je suis, mais sans le rire, je trouve qu’on se fait chier. Ma mère était veuve, j’ai perdu mon père quand j’avais 1 an et demi, mes frères et sœurs avaient 5,9 et 14 ans. Alors je suis vite devenue une grande personne. Tu n’as pas le luxe de faire des petits caprices, de faire chier, dans ce genre de situation, tout est moins léger. Et je me répétais que pour moi, c’était moins grave, que je n’avais pas connu mon père donc je n’avais pas souffert. Je pensais que mon rôle au sein de la famille était d’apporter de la légèreté. J’ai compris plus tard que mon histoire est différente mais je l’ai vécu, ce drame. Je ne connais pas un de mes parents, je ne connais pas la protection paternelle.
Ma mère était veuve, j’ai perdu mon père quand j’avais 1 an et demi. Alors je suis vite devenue une grande personne.
Vous vouliez être humoriste ?
Non. Je voulais être fromagère, hôtesse de l’air, Angela Bower dans Madame est servie, écrire des histoires… Je savais surtout que je voulais travailler, gagner mon argent et me tirer. J’avais hâte d’être adulte, que ce soit joyeux, que ce soit beau, hâte des soirées, des lumières, des fleurs, des belles tables, hâte qu’il y ait de la vie. Je me disais : vivement qu’on soit grand, qu’on soit libre. Je me suis acheté des poêles bien cinq ans avant d’avoir mon premier studio. Quand j’ai emménagé, j’avais des poêles en forme de coeurs, des plumeaux multicolores.
Et surprise : vous décidez de faire des études de droit.
Oui. J’ai détesté ça. Je faisais du théâtre en parallèle, et j’enchainais les petits boulots. Finalement je pars faire des études de communication parce que je voulais bosser dans la pub, comme Angela Bower. Je me rends vite compte que ce n’est pas si créatif que ça, j’entre au service communication des Galeries Lafayette et là, je commence le stand up. Pendant des années, je joue le soir devant 12 personnes.
Vous gardez quoi de cette première expérience de la scène ?
Énormément de tendresse. Moi qui ai tendance à me décourager pour des trucs cons, là, j’ai réussi à persévérer. J’avais une foi dans ce truc-là, alors que ce n’était pas marrant du tout. Quand Bref arrive, que je vois des humoristiques émerger, ça me déprime. Et je fais On ne demande qu’à en rire pour arrêter d’être planquée. Je m’étais un peu endormie en attendant qu’il se passe un truc, qu’on me repère. Là, Jean Benguigui me démolit devant la France entière et ça a été tellement violent que j’ai dit stop. Pas stop à ce métier mais je me dis que ce n’est pas à ce gars de décider tout seul de mon avenir, c’est au public. Donc je viens de me prendre une grande claque mais j’arrête mon boulot et je me dis : avant de croire que tu es une merde, tu vas écrire un vrai spectacle, inviter des producteurs et là on verra ce qu’il se passera. Et ça a marché.
Nora Hamzawi, actuellement en tournée.